lundi 16 novembre 2009

La vingt-cinquième heure ?

Imagine-t-on une librairie dont les livres, sur tables, en rayons, seraient présentés sous plastique, habillés d’une couverture blanche sur laquelle le titre en majuscules serait systématiquement tronqué à 30 caractères ?
Pas commode pour les clients n’est-ce pas ?
Suicidaire pour le vendeur, libraire.
Fort heureusement, soucieux de vendre, l’éditeur fournit aux librairies en briques des livres dont les premières de couverture sont colorées, parlantes, dont les quatrièmes présentent, savamment, le contenu.

S’agissant des librairies sur internet il en va tout autrement. Quelques éditeurs savent que des libraires tentent de répondre, sur l’internet, aux besoins de leurs clients (consulter le stock de leur librairie depuis chez eux, acheter des livres, les faire réserver aux heures où les libraires dorment) et essayent de préserver les parts de marché que vient leur contester Amazon.
Ces quelques éditeurs ou groupes d’éditeurs (un très gros : Editis, des « petits » tels Quae, Au Diable vauvert, les Belles lettres, deux poignées d’autres…) fournissent aux libraires sur Internet, au format Onix, via des serveurs FTP, toutes les informations nécessaires (auteur, titre, images de couvertures, prix, …) à une bonne présentation et à une commercialisation efficace des ouvrages. Parfois même une possibilité de feuilleter en ligne les livres. Et, bien sûr, ce sont leurs livres que nous vendons le mieux.
La majorité des autres éditeurs fait comme si Internet n’existait pas.
Je ne crois pas qu’ils aient décidé que deux ou trois librairies sur Internet, Amazon, Fnac, Rue du commerce (ayant les moyens de saisir et scanner pour eux-mêmes dans leurs bureaux ou entrepôts toutes les informations pourtant disponibles chez les éditeurs) suffisent. Ils ont d’autres préoccupations. Ou ils s’en foutent.
Chers amis éditeurs, de grâce, arrêtez de faire semblant de croire que l’internet est dépourvu d’intérêt commercial !
L’enjeu de la bataille n’est pas seulement l’expédition par les libraires de paquets/ficelles contenant des livres Gutenberg. Il s’agit aussi de savoir si, demain, la place qu’Amazon aura prise sera tellement prépondérante que, dans la chaine du livre numérique, vous n’aurez pas un seul libraire indépendant comme interlocuteur.

Alors vice-Président du Cercle de la librairie j’avais bataillé pour la gratuité d’accès pour tous les français à la base Electre biblio (donc pour un autre mode de financement de l’indispensable et remarquable base Electre). Vainement. Quelques éditeurs ne trouvaient pas dans ce combat matière à révolutionner le mode de fonctionnement d’Electre.
Il y a deux ans il y avait nécessité, chers amis éditeurs, que vous pesiez dans la bataille, juridique, des frais de port proposés gratuitement par Amazon aux internautes. Ce port « gratuit » qui rend improbable l’équilibre des comptes des libraires sur l’internet et interdit donc, à la plupart d’entre eux, l’accès au marché. Votre silence dans cette bataille a été assourdissant.
Aujourd’hui, faute que l’accès à Electre ait été libéré (et aujourd’hui la priorité c’est plutôt de sauvegarder Electre), il est nécessaire que vous mettiez tout simplement à disposition des libraires qui le souhaitent, sur un serveur FTP, les fichiers de métadonnées permettant de vendre vos ouvrages.
Est-ce si compliqué ?
Des éditeurs comme Quae, comme le Diable Vauvert, comme Les presses de sciences-po, etc, ont adopté le logiciel de Giantchair. (http://www.giantchair.com : publicité gratuite !). C’est une solution simple. Pratique. Immédiate. Technologiquement irréprochable.

Depuis dix ans déjà il y urgence à libérer les métadonnées.
Chaque jour l’urgence ne devient que plus urgente.
Songez à ce que sont devenues les compagnies « majors » du disque pour avoir délibérément sacrifié le réseau des disquaires, pour avoir, par pusillanimité, négligé de proposer sur l’internet une offre acceptable pour les amateurs de disques, pour avoir, par rapacité, construit une politique de prix méprisante et inacceptable par les clients.
Vraiment, ne nous laissez pas désarmés face à Amazon. Ne laissez pas Amazon seul, ou presque, en lice. Il y va, aussi, de votre intérêt.
Libérez vos métadonnées au profit des vendeurs de livres.

jeudi 5 novembre 2009

Contrats d'iboukes

Parlons concrètement de choses concrètes. Les contrats proposés par les e-distributeurs aux libraires pour la vente d’e-books ont le mérite de poser clairement la question du rôle que les éditeurs (ou leurs distributeurs) assignent aux libraires dans la chaine du livre à l’heure numérique.
Si tant est qu’il n’en soit pas l’auteur Maître Pierrat en fera, pour Livres Hebdo, une lecture juridique que je ne saurais faire.
Je me contente ici de les traduire en termes d’économie du livre. Et, disons le tout net, alors que les éditeurs/distributeurs clament haut et fort, et il n’y a aucune raison de ne pas les croire, leur soutien aux libraires auxquels ils se disent (et je les crois) très attachés, les contrats de mandat proposés pour la vente de e-books disent très exactement ceci : la librairie est morte.
Explications :

• Rémunérations
En matière de e-books le e-distributeur prélève à l’éditeur, pour ce que j’en sais, la même somme que le distributeur traditionnel s’agissant de livres Gutenberg : environ 55%.
S’agissant de distribuer des livres « papier » le distributeur conserve par devers lui 18 à 20% qui servent à confectionner des paquets-ficelle, émettre des factures et les recouvrer, payer le diffuseur…Il ristourne donc au libraire (qui ne roule pas sur l’or) 35 à 37% qui servent principalement à payer son travail de sélection (ou celui de ses collaborateurs), de conseil, plus généralement de service, qui servent aussi à payer le transport, la manutention, le stockage, l’encaissement.
Je me souviens d’Olivier Pujol, le brillant polytechnicien qui dirigeait Cytale vers l’an 2000. Quand je lui expliquais qu’on ne pouvait faire tourner une librairie à moins de 30% de remise il me décortiquait la « chaine de valeur » : le coût de la carte bancaire c’est tant, le coût de la caissière c’est tant, le coût du transport c’est tant, etc. J’enlève le transport disait-il, j’enlève le loyer, j’enlève la caissière, mais je garde la carte bancaire, calculez, vous voyez bien : 22% ça vous suffit. Je me souviens lui avoir répondu par ce dicton américain des affaires : « you pay peanuts you get monkeys »
D’autres polytechniciens, sans doute, ont remplacé Olivier Pujol. Le discours reste le même :
« dans l’état actuel de la chaîne numérique vous réalisez de très « importantes économies par rapport à la gestion des livres physiques…la « ‘valeur’ de l’apport de clientèle sur Internet, associé à l’affiliation d’un « site (qui prend en charge la présentation des produits) est en moyenne « de 5 à 7%. S’ajoute à cela sans doute le support client, qui a donc bien « une valeur et les frais bancaires. La commission…intègre bien tous ces éléments »
Voilà un discours qui a le mérite de la clarté.
Dans « l’état actuel de la chaîne numérique » un libraire c’est un site internet qui prend en charge « la présentation des produits », qui supporte des frais bancaires et qui embauche un technicien de second ordre, lequel se ‘démerde’ à expliquer à l’internaute-acheteur pourquoi les DRM, tous différents les uns des autres, qui, chez tel e-distributeur, ne sont pas clairement détaillés, ne lui permettent pas, à lui internaute, d’utiliser son bouquin comme il voudrait.
A ce stade il n’y a plus de libraire. Il y a un service après-vente. Lequel est débordé de travail parce que les foutus DRM (pour protéger des clients supposés voleurs « les droits des auteurs », paraît-il) c’est un bazar sans nom, et plus encore quand ils ne sont pas clairement affichés ; dans ce cas chaque vente d’e-book donne lieu à des explications sans fin, les clients n’y comprenant goutte, et on les comprend eux les clients, tant le site de tel e-distributeur est, pour encore, mal fagoté.
Pour ce service après vente, pour l’encaissement et « la présentation des produits » la rémunération prévue par Numilog c’est 21%, par Eden Livres c’est, pour la première année, 25%, et par Editis c’est 25%.
Reste pour le e-distributeur 30 à 35% de marge. Pour construire une informatique qui n’est pas plus sophistiquée que celle du e-revendeur.
Et à un quart d’heure de SAV par client, quand le site du e-distributeur est techniquement insuffisant, le e-revendeur (on ne saurait parler de e-libraire, et encore moins de libraire) perd sa chemise. Et d’autant plus qu’une librairie (même en ligne !) c’est, aussi, une marque. Une marque c’est-à-dire un capital de confiance investi par des clients. Un capital de confiance qu’il s’agit de ne pas dilapider. Un client qu’il convient de soigner. Auquel on répond quand il pose une question. Auquel on répond bien. Du mieux qu’on peut. Et, pour ce faire, on met au bout de la ligne un libraire, et un ingénieur informaticien, et pas un technicien de second ordre, quelle que soit l’analyse, fausse, de la chaine de valeur que feront toujours tous les polytechniciens de la terre, qui n’ont aucune idée de ce qu’est un client.

• Sélection
Dans « l’état actuel de la chaîne numérique » le site internet du libraire (libraire ?) « affiche les produits ».
Le libraire ne sélectionne rien. Ne fait pas de choix. Il affiche. Intégralement. « La totalité des items numériques ». Et « la politique que la Librairie met en application en sa qualité de mandataire pour l’Offre Numérique » du e-distributeur « est intégralement et exclusivement celle communiquée par » le e-distributeur « en particulier en ce qui concerne : la liste des items numériques… ». Pour tel autre e-distributeur « le LIBRAIRE présentera l’intégralité de l’offre numérique du DIFFUSEUR ». Pour le troisième c’est pareil.
Ainsi il est interdit à www.librairiedialogues.fr de proposer sur son site une offre qui serait différente de celle que pourrait proposer www.ombres-blanches.fr, de celle que pourrait proposer Auchan, Carrefour ou Amazon. Un libraire c’est un écran de 15 ou 17 pouces. Celui du client.

• Conseil
A défaut d’avoir contractuellement le droit de sélectionner « les produits » ou « les items » le libraire a-t-il au moins celui de conseiller des livres numériques ? Que nenni. Le libraire ne peut en effet « en aucun cas conduire de sa propre initiative des opérations promotionnelles, de quelque nature que ce soit, sur les Œuvres Numériques ».

Certes je ne méconnais pas que c’est le régime absurde de la TVA à 19,6% retenu par l’Etat pour la vente de e-books, avec les conséquences fâcheuses qui s’ensuivent en matière de prix de vente (pas de régime de prix imposé de la loi Lang) , qui a obligé les éditeurs à produire des contrats de mandat et à toutes les contorsions qu’ils induisent. Mais tout de même. Rien n’obligeait les éditeurs à sous-rémunérer les libraires vendeurs de e-books, avec les conséquences qu’une rémunération injuste, et pour tout dire indigne, entraine. La confiance est un bien précieux avec lequel il est dangereux de jouer. Et risque fort de perdre la confiance des libraires l’éditeur qui s’apparente tellement à l’oncle Picsou qu’il ne leur laisse que des miettes. Amazon réclame aux éditeurs 70% de remise pour vendre des e-books sur son kindle. Actuellement la gratification c’est 21 à 25%. De 21 à 70 l’écart est trop grand pour qu’il n’y ait pas abus de part et d’autre.


« Dans l’état actuel de la chaine numérique » les e-book c’est 0,2% de part du marché du livre. Fort heureusement le livre Gutenberg, cet objet techniquement indépassable, a de beaux jours devant lui. Mais il y a des situations où les livres numériques peuvent rendre des services aux lecteurs. Et donc il n’y a pas de raison de ne pas collaborer avec les éditeurs pour rendre aux lecteurs le service de leur vendre des e-books, puisque, parfois, ça peut leur rendre service.
Mais de grâce, chers amis éditeurs, rappelez vous cette remarque du bon vieux Président Mao : « celui qui se range en paroles seulement du côté du peuple révolutionnaire, mais agit tout autrement, n’est qu’un révolutionnaire en paroles ». Accordez vos actes avec vos discours. Les libraires ne mourront certes pas de perdre leur temps et leur argent à vendre des e-books. Mais les conditions des contrats de vente de e-books que vous avez écrites sont des conditions qui, d’une part, nient la qualité de libraire, et qui, d’autre part, les ravalent au rang de larbins sous-prolétarisés.
Je sais, chacun sait, pertinemment, que ce n’est pas ce que vous voulez.