lundi 30 mars 2009

Courants d’ère

En 1980, chacun le sait, Jérôme Lindon et quelques autres éditeurs craignant de voir submergée la librairie par les hypermarchés et la fnac, et par là déstabilisée l’édition, obtiennent des politiques unanimes la loi Lang. Le dispositif du prix unique, en interdisant la guerre du prix des livres, et en sauvant les libraires de la faillite, interdit du même coup à la distribution dite « moderne » de prendre les éditeurs en otage et les exonère du nivellement par le bas auquel une politique différente a conduit les éditeurs de disques.
Aujourd’hui une même guerre économique est conduite par Amazon, qui entraîne la fnac dans son sillage. Les arguments sont les mêmes. La prétendue défense du consommateur. Amazon, chevalier blanc de leur défense, démagogue comme l’étaient les Leclerc, Carrefour et autres Auchan, entend livrer les ouvrages commandés via Internet franco de port. La fnac ne peut faire autrement que de s’aligner et au final les libraires font de même.
S’agit-il vraiment de défendre le droit des consommateurs à recevoir gratuitement à domicile leurs livres que les PTT transportent à grands frais ? Si c’était le cas les frais de port seraient gratuits pour tous les articles achetés sur Amazon. Mais sur Amazon seul le transport des livres est gratuit.
Cette politique a une signification claire. Il s’agit de « ramasser la mise », de rendre impossible aux autres intervenants potentiels l’accès rentable au marché. Au demeurant c’est efficace. France Telecom vend Alapage.
Non stratégique dit-on chez l’opérateur téléphonique. Sans doute. Absolument non rentable aussi.
Non rentable ? Illustration : sur le site de la librairie Mollat les frais de port sont offerts à l’internaute dès que son panier atteint 20 euros. On peut supposer, dès lors, que pour ne pas payer de port les internautes dépensent 24,50 euros, ce qui représente le prix moyen de deux livres. La remise que les éditeurs consentent au libraire bordelais pour vendre ces deux livres s’élève à 8,82 euros. Le libraire de Gironde a « choisi »* la poste, en colissimo, pour transporter ses colis. Le prix minimum d’un colissimo est de 7,29 euros. Il reste donc à mon ami Mollat 1,53 euros soit 6,58% de marge pour rémunérer ses équipes et payer ses charges.
Aucun libraire, aucun magasin au monde, aucun site internet ne peut fonctionner avec 6,58% de marge brute.
Amazon France perd année après année de l’argent. Et la maison mère recapitalise sa filiale.
L’objectif est clair. Interdire aux concurrents moins puissants l’accès au marché.
Et il ne s’agit pas que d’adresser des livres-papiers dans des colis-ficelles par la poste. Il s’agit de prendre place, et si possible toute la place, pour la vente de livres numériques.
Le rapport Patino remis au ministre de la culture recommande que la loi Lang ne puisse s’appliquer au livre numérique. Et propose que la TVA reste fixée à 19,6%. On ne peut mieux encourager les belligérants à commencer la guerre du prix des livres numériques.
Autres temps autres mœurs. En 1980 les pouvoirs se souciaient pour conserver une édition diverse et indépendante de mettre le réseau des librairies à l’abri des pratiques barbares de la « grande » distribution. Que la toute puissante et remarquable compagnie Amazon tâche de s’octroyer le monopole de la vente des livres sur Internet et s’efforce d’asphyxier ceux qui s’y risquent semble aujourd’hui n’émouvoir en rien les pouvoirs publics. Et le silence des éditeurs (tétanisés ?) est assourdissant.



* pour ce qui est de l’expédition, en réalité, on n’a pas le choix. On subit la poste. Et elle est très chère

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