mardi 5 avril 2011

Depuis quelque temps l'attention, en matière de livres numériques, s'est focalisée sur la question du prix unique. Les éditeurs sont, à juste titre, soucieux de conserver la maîtrise du prix de vente de leurs livres; la Fnac par la voix de son président a exprimé sa légitime inquiétude qu'une concurrence par les prix de trois grandes plateformes américaines ne la contraigne à une guerre épuisante; le SLF a milité pour un prix unique pour tous.
Le législateur a tranché. Fort bien.
On peut donc, désormais, dire clairement que, du point de vue des libraires, la question essentielle n'est pas celle du prix de vente mais celle de l'égal accès à l'offre technique.
Eric Falconnier explique ci-après clairement les conditions d'une concurrence qui va évacuer les libraires du marché du livre numérique si les fournisseurs continuent de leur proposer des conditions techniques discriminatoires d'accès aux livres. Et il propose des solutions.



Les offres de livres électroniques des 3 "grands", Amazon, Apple et Google, sont des solutions complètes permettant de contrôler le piratage des œuvres sans en entraver la lecture, pour peu que l'on reste à l'intérieur de chacun de ces écosystèmes. Le consommateur doit faire le choix de la plateforme qu'il utilisera pour ses achats de livres, ou bien faire face aux difficultés associées à la gestion de plusieurs bibliothèques virtuelles incompatibles. Chacun de ces distributeurs doit donc s'assurer de l'exhaustivité de son catalogue. Si cela semble loin d'être le cas de nos jours, cette situation ne va pas durer. Les éditeurs ont intérêt à utiliser tous les canaux de vente disponibles. Ces 3 fournisseurs finiront donc par avoir accès au même large catalogue.
Face à ces offres abouties ou sur le point de l'être, il existe une autre chaîne de distribution, en place depuis quelque temps, et la seule qui soit pour le moment accessible aux libraires : on synchronise le catalogue d'un ou plusieurs fournisseurs, puis, au passage de la commande, on demande un lien au fournisseur que l'on fournit au client pour qu'il puisse accéder à son livre. Notre rôle se limite donc à faire en sorte que le client puisse facilement retrouver ses achats de livres électroniques et télécharger un nouveau lien si possible. Quand les 3 plateformes qui se mettent en place permettent la récupération d'une bibliothèque virtuelle sur une large gamme d'appareils et la lecture, nous proposons du SAV. D'un côté lecture immédiate, de l'autre puzzle informatique et relation conflictuelle avec un vendeur qui essaie de comprendre dans quel état se trouve l'ordinateur de son client. D'un côté un processus totalement automatisé, de l'autre un poste de coût incroyablement élevé rognant sur des marges ayant été réduites pour de mauvaises raisons. La cause principale de cette expérience désastreuse pour nos clients est le verrouillage des livres vendus par les DRM Adobe rendant quasiment impossible au néophyte la lecture de livres électroniques.
Il est impératif d'améliorer cette situation pour ne pas perdre totalement la confiance des clients. La solution de facilité, permettant de libérer tout un écosystème de revendeurs et de fournisseurs de bibliothèques virtuelles et de faciliter grandement la lecture de livres électroniques serait l'abandon des DRM. Cela semble malheureusement illusoire à moyen terme. Il existe aussi une solution que l'on pourrait qualifier d'"industrielle" par son échelle et qui passerait par la création d'un autre nuage plus ouvert aux libraires. Cette solution nécessite la coordination d'importantes ressources et paraît donc elle aussi difficile à mettre en œuvre. Reste l'amélioration des mécanismes existants.
Le hub de Dilicom permet déjà une harmonisation des interfaces à développer et entraîne donc un gain de temps non négligeable pour la mise en place d'une offre de livres électroniques sur un site de libraire. C'est l'offre en elle-même qui pose problème. Il est souvent nécessaire par exemple que le client choisisse au moment de l'achat le format dans lequel il souhaite pouvoir télécharger son livre. Cela n'a pas de sens. Il se peut que 3 mois après son achat, il achète un autre type de dispositif de lecture nécessitant un autre format. D'autre part, l'utilisation des DRM d'Adobe bloque la lecture sur quasiment tous les dispositifs mobiles, ceux-là même qui génèrent une nouvelle demande de contenu que seuls Amazon et Apple peuvent offrir pour le moment en ce qui concerne les livres. Pourquoi devons-nous nous priver de cette opportunité de croissance ? Puisque les éditeurs veulent garder le contrôle sur les fichiers qu'ils permettent de télécharger, il faut que chaque livre vendu avec DRM soit aussi accessible en streaming. Les clients pourraient ainsi lire sans aucun problème leurs livres sur tout appareil connecté à Internet. Les libraires ne peuvent pas développer cette fonctionnalité puisqu'ils n'ont pas accès au texte des livres. C'est quelque chose que les fournisseurs doivent proposer, et certains montrent déjà l'exemple. Il ne faut pas non plus oublier les tablettes à encre électronique non connectées à Internet et qui nécessitent donc de télécharger un fichier. Le streaming seul ne suffit pas dans ce cas, et il faut toujours proposer le téléchargement de fichiers que la majorité des éditeurs décideront sans surprise de protéger avec des DRM.
Mais la lecture n'est pas le seul point à améliorer. Il faut aussi redonner un peu le sentiment de "propriété" au client, et lui rendre les libertés d'usages qui lui ont été retirées de manière opportuniste au moment de la bascule au numérique. Il faut développer un protocole ouvert permettant à un client de consolider ses achats de livres électroniques là où il le souhaite. Cela lui permettrait par exemple d'avoir une application sur son téléphone lui donnant accès à une liste de tous ses achats chez les libraires implémentant le protocole d'échange. Depuis cette liste, il pourrait commencer à lire les livres sans DRM ou avec accès en streaming. C’est le concept de bibliothèque virtuelle que l’on retrouve avec l’iBookstore ou le Kindle, mais avec plusieurs vendeurs. L’offre commercialisable par les libraires deviendrait ainsi compétitive.

En résumé, 2 axes de travail :

Du côté des fournisseurs, travailler à l'accessibilité des livres :
- Chaque livre doit être disponible en téléchargement et, s'il doit être protégé par des DRM, alors il doit être aussi disponible en streaming. (Un plus serait la standardisation du protocole de streaming pour permettre le développement de lecteurs autres que ceux des fournisseurs et la bonne intégration aux applications de bibliothèques virtuelles).

Du côté des libraires, travailler à l'ouverture vers des applications de bibliothèques virtuelles :
- Les libraires implémentent un protocole permettant l'export des achats et les fonctionnalités connexes.

Ainsi, les rôles sont bien définis. Les libraires gardent la relation clients sans exclusivité forcée et les fournisseurs assurent la bonne distribution des livres.

6 commentaires:

  1. Pour l'instant, le mille feuille de la distribution numérique à la française ne va pas vraiment dans ce sens là. Aucun acteur individuel n'y a vraiment intérêt (et à mon avis, c'est là qu'il faut trouver des arguments). Alors que c'est bien l'avantage que fourbissent les 3 géants (Amazon, Google et Apple) : celui de savoir que tel identifiant a acheté un livre et de vous le redistribuer quelque soit la forme sous lequel vous souhaitez y accéder. Tant qu'on pensera le livre numérique comme un produit qu'on vend à l'unité et non pas comme un service, les choses n'évolueront pas. Google propose cela je crois en permettant à plusieurs libraires de vendre des livres numériques de leur catalogue. Mais ce n'est pour l'instant pas l'option ni d'Amazon ni d'Apple.

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  2. @hubert, je trouve au contraire cette proposition tout à fait adaptée à la situation actuelle : au lieu de centraliser les contenus et de pousser l'e-chaland à choisir l'un des trois ou quatre points de vente les plus en vue, il serait plus intelligent d'utiliser les propriétés décentralisatrices de l'Internet pour que chacun puisse gérer à sa façon ce qu'il sait le mieux gérer (son contenu pour les fournisseurs, sa clientèle pour les libraires). C'est d'ailleurs le principe d'un système neutre et interprofessionnel comme le hub Dilicom.

    Les deux axes proposés par Dialogues ne présentent aucun obstacle technique pour des informaticiens de 2011. Reste à savoir quelle est la masse critique de fournisseurs et de libraires nécessaire pour entraîner les autres.

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  3. @Xavier : ne me fait pas dire ce que je n'ai pas dit ;-). Je la trouve également excellente ! Mais je dis qu'il faut également trouver des arguments pour que les acteurs individuels passent le pas de cette solution.

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  4. C'est assurément la direction dans laquelle on doit regarder. Et c'est bien la piste que nous avons exploré il n'y a pas si longtemps avec La Hutte et Eden Reader — avec des succès relatifs, selon les points de vue et angles d'analyses. On pourra en reparler.

    Cela dit, je pense qu'il faut être un peu plus réaliste — ce n'est pas tout à fait vrai que cela ne pose aucun obstacle technique. Au contraire, je pense qu'ils sont assez nombreux.

    Mais ce n'est pas une raison pour ne pas être ambitieux et viser à réaliser cet objectif à moyen terme. Je suis pour!

    Faudra un fort très leadership pour y arriver cependant — c'est le premier défi à relever à mon avis.

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  5. Vous ne pouvez pas réaliser ces objectifs.

    La technologie a déjà été établie par Apple et Amazon. Et bientôt Google ,et vous comprendrez quand Microsoft se mettra lui même dans le marché.

    Ce sont des problèmatiques d'informatique, elles seront donc prises (elles le sont déjà en partie) par l'industrie informatique, particulièrement celle du logiciel (tel Amazon).

    Apple est le mieux positionné : Apple contrôle la machine (l'ipad, l'iphone, le mac), le logiciel (ibooks, safari, itunes), le magasin (ibook store, itunes store), le moyen de paiement (via itunes)et les relations avec l'industrie (aux usa, ce qui leur permettra de faire rouleau compresseur)

    Apple est la seule à avoir toute la chaine. Amazon en a une partie, mais c'est déjà plus que tous les français, fnac,etc.

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    il faut absolument détruire une notion chez les artistes : que streaming veut dire "pas contenu dans l'ordi"

    cela est FAUX.


    SI ça s'affiche à l'écran C'EST DANS LA MACHINE ET DONC C'EST DEJA MULTI-PIRATE 1 MILLION DE FOIS !

    ce que vous affichez à l'écran, en petit bout ou en entier est DANS LA MACHINE !

    Si vous la programmez pour oublier chaque petit bout, vous ne supprimez pas la réalité que chaque bout est passé par la machine donc SERA copié, conservé, archivé par son utilisateur, d'une manière ou d'une autre.


    Pour des raisons de commodité (simplification des protocoles et réutilisation de l'existant) et standardisation, le "streaming", même en vidéo satellite payante n'est plus que des bouts de fichier mpeg qui forment un vrai fichier entier, ce n'est plus comme les sophistiqués système de vidéo streamé comme RTSP (qui n'ont jamais réussi à s'imposer)

    même le "stream html5" de Apple, que Adobe adopte n'est qu'un fichier mpeg découpé en petit bout et envoyé un par un, bouts de quelques secondes chacun. Il est facile de reconstituer un fichier entier.

    -
    pour du texte en "stream", cela veut dire l'afficher en ligne via le navigateur internet, au sein de HTML; qui n'est PAS CONCU POUR CELA !

    Du coup, vous avez déjà une solution : celle de Adobe (autour de flash/pdf et son drm).

    or c'est exactement de ce greffon binaire propriétaire que l'industrie, menée par Apple activement, tente de balayer.

    si vous voulez recréer cela dans HTML (le navigateur internet), vous recréer un système de DRM sophistiqué, alien au navigateur, et qui posera milles problèmes à l'utilisateur (pas de fonctionnalités d'accessibilité, aide à la lecture intégrée avec le système, pas de compatibilité à priori avec d'éventuelles nouvelles machines)

    tout ce que vous voulez supprimer et améliorer..

    Vous êtes pris au piège contradictoire de vos souhaits mais des angoisses des éditeurs et du travail de simplification et globalisation de l'industrie informatique

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    Une seule entreprise est capable de créer et populariser un système de "stream en ligne de livre" : Apple

    Ils ont la machine, ils ont le navigateur (safari), ils peuvent le faire pour Windows, ils peuvent donc intégrer dedans toute technologie

    Apple le fera que pour son intérêt.

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    Ce n'est pas nouveau.

    l'initiative Epub est cela : transformer en web l'échange de livre. (epub est sous-ensemble de html, ce n'est pas un accident)

    c'est ce que vend Adobe avec Flash/pdf, ce que les constructeurs de machines, dont le plus important (Apple) et Amazon, tente de se débarrasser.

    (quand un constructeur genre samsung ou rim dit etre partenaire adobe pour flash, il est aussi parmi ceux qui travaillent sur l'après flash.. tel google qui mange aux 2 râteliers)

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    en clair :


    c'est face à ces réalités concrètes techniques et industrielles que l'industrie du livre refuse de lâcher leur contenu.

    Il n'y a que l'acceptation de la perte de contrôle qui permettra de débloquer la situation.

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  6. C'est ce que l'industrie de la musique a accepté, mais elle ne l'a fait que parce qu'il y a un précédent commercial et économique : le CD AUDIO (copie parfaite numérique avec _zero_ protection).

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    "- Les libraires implémentent un protocole permettant l'export des achats et les fonctionnalités connexes."

    non. le fichier client est vital. autant tuer les libraires immédiatement alors.

    Vous aurez une incroyable résistance de leur part.

    C'est comme quand Apple a imposé que les journaux avec abonnements sur ipad ne pouvez pas obtenir les informations clients des utilisateurs d'ipad. Cela a été rejeté en masse par les médias, les journaux VIVENT des informations clients de leurs Abonnés.

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    L'industrie informatique n'attends pas les éditeurs de livre. Je sais que cela parait horrible du point de vue français, mais c'est ce qui se passe.

    Amazon passera en force pour son offre de "coffre fort numérique" pour la musique, ils passent en force pour le livre avec le kindle.


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    Clément Laberge dit

    "Faudra un fort très leadership pour y arriver cependant — c'est le premier défi à relever à mon avis."

    or, ce leadership existe déjà : le triumvira Apple, Amazon, Google. (volé au nez et à la barbe de sony et barnes & nobles).


    La seule possibilité pour la France si elle voulait vraiment avoir son mot à dire, c'était de créer une grande entreprise informatique de machines et logiciels.

    Vous en avez des embryons : Archos, Free...

    La FNAC aurait besoin de se réinventer en entreprise de distribution et de logiciel comme Amazon

    (ne faites pas d'erreur : amazon est une société informatique : ils font de l'hébergement de services réseau, du développement, du logiciel, des machines informatiques, et du web).

    Tout cela est inimaginable dans la France d'aujourd'hui.

    On est structuré pour ignorer le problème technique et son industrie et ne pas comprendre qu'il est déjà en place.

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