lundi 16 novembre 2009

La vingt-cinquième heure ?

Imagine-t-on une librairie dont les livres, sur tables, en rayons, seraient présentés sous plastique, habillés d’une couverture blanche sur laquelle le titre en majuscules serait systématiquement tronqué à 30 caractères ?
Pas commode pour les clients n’est-ce pas ?
Suicidaire pour le vendeur, libraire.
Fort heureusement, soucieux de vendre, l’éditeur fournit aux librairies en briques des livres dont les premières de couverture sont colorées, parlantes, dont les quatrièmes présentent, savamment, le contenu.

S’agissant des librairies sur internet il en va tout autrement. Quelques éditeurs savent que des libraires tentent de répondre, sur l’internet, aux besoins de leurs clients (consulter le stock de leur librairie depuis chez eux, acheter des livres, les faire réserver aux heures où les libraires dorment) et essayent de préserver les parts de marché que vient leur contester Amazon.
Ces quelques éditeurs ou groupes d’éditeurs (un très gros : Editis, des « petits » tels Quae, Au Diable vauvert, les Belles lettres, deux poignées d’autres…) fournissent aux libraires sur Internet, au format Onix, via des serveurs FTP, toutes les informations nécessaires (auteur, titre, images de couvertures, prix, …) à une bonne présentation et à une commercialisation efficace des ouvrages. Parfois même une possibilité de feuilleter en ligne les livres. Et, bien sûr, ce sont leurs livres que nous vendons le mieux.
La majorité des autres éditeurs fait comme si Internet n’existait pas.
Je ne crois pas qu’ils aient décidé que deux ou trois librairies sur Internet, Amazon, Fnac, Rue du commerce (ayant les moyens de saisir et scanner pour eux-mêmes dans leurs bureaux ou entrepôts toutes les informations pourtant disponibles chez les éditeurs) suffisent. Ils ont d’autres préoccupations. Ou ils s’en foutent.
Chers amis éditeurs, de grâce, arrêtez de faire semblant de croire que l’internet est dépourvu d’intérêt commercial !
L’enjeu de la bataille n’est pas seulement l’expédition par les libraires de paquets/ficelles contenant des livres Gutenberg. Il s’agit aussi de savoir si, demain, la place qu’Amazon aura prise sera tellement prépondérante que, dans la chaine du livre numérique, vous n’aurez pas un seul libraire indépendant comme interlocuteur.

Alors vice-Président du Cercle de la librairie j’avais bataillé pour la gratuité d’accès pour tous les français à la base Electre biblio (donc pour un autre mode de financement de l’indispensable et remarquable base Electre). Vainement. Quelques éditeurs ne trouvaient pas dans ce combat matière à révolutionner le mode de fonctionnement d’Electre.
Il y a deux ans il y avait nécessité, chers amis éditeurs, que vous pesiez dans la bataille, juridique, des frais de port proposés gratuitement par Amazon aux internautes. Ce port « gratuit » qui rend improbable l’équilibre des comptes des libraires sur l’internet et interdit donc, à la plupart d’entre eux, l’accès au marché. Votre silence dans cette bataille a été assourdissant.
Aujourd’hui, faute que l’accès à Electre ait été libéré (et aujourd’hui la priorité c’est plutôt de sauvegarder Electre), il est nécessaire que vous mettiez tout simplement à disposition des libraires qui le souhaitent, sur un serveur FTP, les fichiers de métadonnées permettant de vendre vos ouvrages.
Est-ce si compliqué ?
Des éditeurs comme Quae, comme le Diable Vauvert, comme Les presses de sciences-po, etc, ont adopté le logiciel de Giantchair. (http://www.giantchair.com : publicité gratuite !). C’est une solution simple. Pratique. Immédiate. Technologiquement irréprochable.

Depuis dix ans déjà il y urgence à libérer les métadonnées.
Chaque jour l’urgence ne devient que plus urgente.
Songez à ce que sont devenues les compagnies « majors » du disque pour avoir délibérément sacrifié le réseau des disquaires, pour avoir, par pusillanimité, négligé de proposer sur l’internet une offre acceptable pour les amateurs de disques, pour avoir, par rapacité, construit une politique de prix méprisante et inacceptable par les clients.
Vraiment, ne nous laissez pas désarmés face à Amazon. Ne laissez pas Amazon seul, ou presque, en lice. Il y va, aussi, de votre intérêt.
Libérez vos métadonnées au profit des vendeurs de livres.

jeudi 5 novembre 2009

Contrats d'iboukes

Parlons concrètement de choses concrètes. Les contrats proposés par les e-distributeurs aux libraires pour la vente d’e-books ont le mérite de poser clairement la question du rôle que les éditeurs (ou leurs distributeurs) assignent aux libraires dans la chaine du livre à l’heure numérique.
Si tant est qu’il n’en soit pas l’auteur Maître Pierrat en fera, pour Livres Hebdo, une lecture juridique que je ne saurais faire.
Je me contente ici de les traduire en termes d’économie du livre. Et, disons le tout net, alors que les éditeurs/distributeurs clament haut et fort, et il n’y a aucune raison de ne pas les croire, leur soutien aux libraires auxquels ils se disent (et je les crois) très attachés, les contrats de mandat proposés pour la vente de e-books disent très exactement ceci : la librairie est morte.
Explications :

• Rémunérations
En matière de e-books le e-distributeur prélève à l’éditeur, pour ce que j’en sais, la même somme que le distributeur traditionnel s’agissant de livres Gutenberg : environ 55%.
S’agissant de distribuer des livres « papier » le distributeur conserve par devers lui 18 à 20% qui servent à confectionner des paquets-ficelle, émettre des factures et les recouvrer, payer le diffuseur…Il ristourne donc au libraire (qui ne roule pas sur l’or) 35 à 37% qui servent principalement à payer son travail de sélection (ou celui de ses collaborateurs), de conseil, plus généralement de service, qui servent aussi à payer le transport, la manutention, le stockage, l’encaissement.
Je me souviens d’Olivier Pujol, le brillant polytechnicien qui dirigeait Cytale vers l’an 2000. Quand je lui expliquais qu’on ne pouvait faire tourner une librairie à moins de 30% de remise il me décortiquait la « chaine de valeur » : le coût de la carte bancaire c’est tant, le coût de la caissière c’est tant, le coût du transport c’est tant, etc. J’enlève le transport disait-il, j’enlève le loyer, j’enlève la caissière, mais je garde la carte bancaire, calculez, vous voyez bien : 22% ça vous suffit. Je me souviens lui avoir répondu par ce dicton américain des affaires : « you pay peanuts you get monkeys »
D’autres polytechniciens, sans doute, ont remplacé Olivier Pujol. Le discours reste le même :
« dans l’état actuel de la chaîne numérique vous réalisez de très « importantes économies par rapport à la gestion des livres physiques…la « ‘valeur’ de l’apport de clientèle sur Internet, associé à l’affiliation d’un « site (qui prend en charge la présentation des produits) est en moyenne « de 5 à 7%. S’ajoute à cela sans doute le support client, qui a donc bien « une valeur et les frais bancaires. La commission…intègre bien tous ces éléments »
Voilà un discours qui a le mérite de la clarté.
Dans « l’état actuel de la chaîne numérique » un libraire c’est un site internet qui prend en charge « la présentation des produits », qui supporte des frais bancaires et qui embauche un technicien de second ordre, lequel se ‘démerde’ à expliquer à l’internaute-acheteur pourquoi les DRM, tous différents les uns des autres, qui, chez tel e-distributeur, ne sont pas clairement détaillés, ne lui permettent pas, à lui internaute, d’utiliser son bouquin comme il voudrait.
A ce stade il n’y a plus de libraire. Il y a un service après-vente. Lequel est débordé de travail parce que les foutus DRM (pour protéger des clients supposés voleurs « les droits des auteurs », paraît-il) c’est un bazar sans nom, et plus encore quand ils ne sont pas clairement affichés ; dans ce cas chaque vente d’e-book donne lieu à des explications sans fin, les clients n’y comprenant goutte, et on les comprend eux les clients, tant le site de tel e-distributeur est, pour encore, mal fagoté.
Pour ce service après vente, pour l’encaissement et « la présentation des produits » la rémunération prévue par Numilog c’est 21%, par Eden Livres c’est, pour la première année, 25%, et par Editis c’est 25%.
Reste pour le e-distributeur 30 à 35% de marge. Pour construire une informatique qui n’est pas plus sophistiquée que celle du e-revendeur.
Et à un quart d’heure de SAV par client, quand le site du e-distributeur est techniquement insuffisant, le e-revendeur (on ne saurait parler de e-libraire, et encore moins de libraire) perd sa chemise. Et d’autant plus qu’une librairie (même en ligne !) c’est, aussi, une marque. Une marque c’est-à-dire un capital de confiance investi par des clients. Un capital de confiance qu’il s’agit de ne pas dilapider. Un client qu’il convient de soigner. Auquel on répond quand il pose une question. Auquel on répond bien. Du mieux qu’on peut. Et, pour ce faire, on met au bout de la ligne un libraire, et un ingénieur informaticien, et pas un technicien de second ordre, quelle que soit l’analyse, fausse, de la chaine de valeur que feront toujours tous les polytechniciens de la terre, qui n’ont aucune idée de ce qu’est un client.

• Sélection
Dans « l’état actuel de la chaîne numérique » le site internet du libraire (libraire ?) « affiche les produits ».
Le libraire ne sélectionne rien. Ne fait pas de choix. Il affiche. Intégralement. « La totalité des items numériques ». Et « la politique que la Librairie met en application en sa qualité de mandataire pour l’Offre Numérique » du e-distributeur « est intégralement et exclusivement celle communiquée par » le e-distributeur « en particulier en ce qui concerne : la liste des items numériques… ». Pour tel autre e-distributeur « le LIBRAIRE présentera l’intégralité de l’offre numérique du DIFFUSEUR ». Pour le troisième c’est pareil.
Ainsi il est interdit à www.librairiedialogues.fr de proposer sur son site une offre qui serait différente de celle que pourrait proposer www.ombres-blanches.fr, de celle que pourrait proposer Auchan, Carrefour ou Amazon. Un libraire c’est un écran de 15 ou 17 pouces. Celui du client.

• Conseil
A défaut d’avoir contractuellement le droit de sélectionner « les produits » ou « les items » le libraire a-t-il au moins celui de conseiller des livres numériques ? Que nenni. Le libraire ne peut en effet « en aucun cas conduire de sa propre initiative des opérations promotionnelles, de quelque nature que ce soit, sur les Œuvres Numériques ».

Certes je ne méconnais pas que c’est le régime absurde de la TVA à 19,6% retenu par l’Etat pour la vente de e-books, avec les conséquences fâcheuses qui s’ensuivent en matière de prix de vente (pas de régime de prix imposé de la loi Lang) , qui a obligé les éditeurs à produire des contrats de mandat et à toutes les contorsions qu’ils induisent. Mais tout de même. Rien n’obligeait les éditeurs à sous-rémunérer les libraires vendeurs de e-books, avec les conséquences qu’une rémunération injuste, et pour tout dire indigne, entraine. La confiance est un bien précieux avec lequel il est dangereux de jouer. Et risque fort de perdre la confiance des libraires l’éditeur qui s’apparente tellement à l’oncle Picsou qu’il ne leur laisse que des miettes. Amazon réclame aux éditeurs 70% de remise pour vendre des e-books sur son kindle. Actuellement la gratification c’est 21 à 25%. De 21 à 70 l’écart est trop grand pour qu’il n’y ait pas abus de part et d’autre.


« Dans l’état actuel de la chaine numérique » les e-book c’est 0,2% de part du marché du livre. Fort heureusement le livre Gutenberg, cet objet techniquement indépassable, a de beaux jours devant lui. Mais il y a des situations où les livres numériques peuvent rendre des services aux lecteurs. Et donc il n’y a pas de raison de ne pas collaborer avec les éditeurs pour rendre aux lecteurs le service de leur vendre des e-books, puisque, parfois, ça peut leur rendre service.
Mais de grâce, chers amis éditeurs, rappelez vous cette remarque du bon vieux Président Mao : « celui qui se range en paroles seulement du côté du peuple révolutionnaire, mais agit tout autrement, n’est qu’un révolutionnaire en paroles ». Accordez vos actes avec vos discours. Les libraires ne mourront certes pas de perdre leur temps et leur argent à vendre des e-books. Mais les conditions des contrats de vente de e-books que vous avez écrites sont des conditions qui, d’une part, nient la qualité de libraire, et qui, d’autre part, les ravalent au rang de larbins sous-prolétarisés.
Je sais, chacun sait, pertinemment, que ce n’est pas ce que vous voulez.

lundi 30 mars 2009

Courants d’ère

En 1980, chacun le sait, Jérôme Lindon et quelques autres éditeurs craignant de voir submergée la librairie par les hypermarchés et la fnac, et par là déstabilisée l’édition, obtiennent des politiques unanimes la loi Lang. Le dispositif du prix unique, en interdisant la guerre du prix des livres, et en sauvant les libraires de la faillite, interdit du même coup à la distribution dite « moderne » de prendre les éditeurs en otage et les exonère du nivellement par le bas auquel une politique différente a conduit les éditeurs de disques.
Aujourd’hui une même guerre économique est conduite par Amazon, qui entraîne la fnac dans son sillage. Les arguments sont les mêmes. La prétendue défense du consommateur. Amazon, chevalier blanc de leur défense, démagogue comme l’étaient les Leclerc, Carrefour et autres Auchan, entend livrer les ouvrages commandés via Internet franco de port. La fnac ne peut faire autrement que de s’aligner et au final les libraires font de même.
S’agit-il vraiment de défendre le droit des consommateurs à recevoir gratuitement à domicile leurs livres que les PTT transportent à grands frais ? Si c’était le cas les frais de port seraient gratuits pour tous les articles achetés sur Amazon. Mais sur Amazon seul le transport des livres est gratuit.
Cette politique a une signification claire. Il s’agit de « ramasser la mise », de rendre impossible aux autres intervenants potentiels l’accès rentable au marché. Au demeurant c’est efficace. France Telecom vend Alapage.
Non stratégique dit-on chez l’opérateur téléphonique. Sans doute. Absolument non rentable aussi.
Non rentable ? Illustration : sur le site de la librairie Mollat les frais de port sont offerts à l’internaute dès que son panier atteint 20 euros. On peut supposer, dès lors, que pour ne pas payer de port les internautes dépensent 24,50 euros, ce qui représente le prix moyen de deux livres. La remise que les éditeurs consentent au libraire bordelais pour vendre ces deux livres s’élève à 8,82 euros. Le libraire de Gironde a « choisi »* la poste, en colissimo, pour transporter ses colis. Le prix minimum d’un colissimo est de 7,29 euros. Il reste donc à mon ami Mollat 1,53 euros soit 6,58% de marge pour rémunérer ses équipes et payer ses charges.
Aucun libraire, aucun magasin au monde, aucun site internet ne peut fonctionner avec 6,58% de marge brute.
Amazon France perd année après année de l’argent. Et la maison mère recapitalise sa filiale.
L’objectif est clair. Interdire aux concurrents moins puissants l’accès au marché.
Et il ne s’agit pas que d’adresser des livres-papiers dans des colis-ficelles par la poste. Il s’agit de prendre place, et si possible toute la place, pour la vente de livres numériques.
Le rapport Patino remis au ministre de la culture recommande que la loi Lang ne puisse s’appliquer au livre numérique. Et propose que la TVA reste fixée à 19,6%. On ne peut mieux encourager les belligérants à commencer la guerre du prix des livres numériques.
Autres temps autres mœurs. En 1980 les pouvoirs se souciaient pour conserver une édition diverse et indépendante de mettre le réseau des librairies à l’abri des pratiques barbares de la « grande » distribution. Que la toute puissante et remarquable compagnie Amazon tâche de s’octroyer le monopole de la vente des livres sur Internet et s’efforce d’asphyxier ceux qui s’y risquent semble aujourd’hui n’émouvoir en rien les pouvoirs publics. Et le silence des éditeurs (tétanisés ?) est assourdissant.



* pour ce qui est de l’expédition, en réalité, on n’a pas le choix. On subit la poste. Et elle est très chère

jeudi 26 mars 2009

Frileux et Pusillanimes sont dans un bateau

C’est un fait avéré : les éditeurs ont interdit qu’Electre soit la base de référence gratuite des français. L’une des deux principales raisons de l’absence des libraires sur l’Internet réside dans cette, mauvaise, décision.
Mais la frilosité des membres du Conseil d’administration du Cercle de la librairie n’efface pas la pusillanimité des libraires. Elle ne nous exonère en rien.
La responsabilité principale est bien la nôtre.
En 1999, à Brest, se sont réunis, à l’invitation de la librairie dialogues, les responsables d’Ombres blanches, la belle librairie toulousaine, de Mollat à Bordeaux, de La Galerne au Havre, de l’Armitière à Rouen, et votre serviteur donc, c’était la première fois, pour évoquer la nécessaire création d’un portail de la librairie française.
Unanimité. Il faut. Allons-y. Sus.
Et pour évoquer aussi les moyens à mettre en œuvre pour le constituer.
Combien ? qui met quoi ? ça coûte !
Fin de l’unanimité. Débandade.
Les libraires sont comme les soldats de Vercingétorix. Hardis avant la bataille. Chacun veut prendre le commandement de la troupe. Diriger. Echafauder des plans. Construire une usine à gaz. A condition que ce soient les éditeurs qui payent.
Eh bien nous payons aujourd’hui les frais de notre inconséquence. Et de nos habitudes de mendiants. Continuellement à la remorque des éditeurs.
Dix ans après il y aura un portail de la librairie. Mais Gilles De La Porte, qui a pris son bâton de pèlerin pour rassembler, peine encore à convaincre certains, persuadés qu’ils existent par eux-mêmes, et ne savent pas qu’ils sont pot de terre.
On ne peut pas barguigner pour 20.000 euros quand on prétend avoir une place dans l’Internet et la vente des livres numériques.
Cette règle est simple : celui qui paye commande. On ne peut pas avoir voix au chapitre si on ne met pas la main à la poche. Il n’y aura pas de portail de la librairie française sans investissement financier significatif des libraires. Il n’est pas sain d’attendre l’essentiel de son financement des autres, qu’ils soient éditeurs ou pouvoirs publics.

mardi 24 mars 2009

David et Goliath

Quand 2.000 chalands poussent la porte d’une librairie physique (on dit « brick and mortar » en français d’aujourd’hui), supposons à Toulouse, le commerçant libraire sait que, s’il fait bien son marchand aimable et compétent, à peu près 1.000 ressortiront de sa boutique un petit sac plastique rempli de livres à la main.
Dans l’économie virtuelle aussi il y a un rapport étroit entre le nombre de visites et celui des achats pour peu que le site visité soit attractif.
Faute de connaître le nombre de visites à leur adresse je peux essayer d’approcher, de deviner la distance qui sépare la fréquentation du site artisanal d’Ombres blanches, celui de l’excellente librairie de mon confrère Christian Thorel, de celle du site d’Amazon.
Ce jourd’hui, mardi 24 mars 2009, en demandant, chez Google, le nombre de « résultats » pour l’un et l’autre site j’ai obtenu ces chiffres : 6.940 pour Ombres-blanches.fr et 13.300.000 pour Amazon.fr.
Les positions qui sont prises aujourd’hui sur l’internet seront utiles demain pour vendre des livres numériques.
Ah ! j’allais oublier : quand je totalise, ce jour, le nombre des résultats obtenus pour librairiedialogues.fr (à mon avis le meilleur site !), Mollat.com, Sauramps.com, Laprocure.fr, Ombres-blanches.fr, librairie-kleber.com, Eyrolles.fr, quand donc j’additionne les résultats obtenus pour l’ensemble des sites des principales librairies françaises de qualité j’obtiens 748.700 « résultats ». Tous ensemble c’est vingt fois moins qu’Amazon.
« L’insensé veille toutes les nuits et il s’inquiète des moindres choses ; Il est brisé de fatigue quand le matin approche et les soucis restent ce qu’ils ont été ».

lundi 23 mars 2009

La poule aux œufs d’or

A maintenant 60 ans je n’ai toujours pas de Rolex. D’ailleurs je n’ai pas de montre. Et je roule en Twingo. En somme je présente toutes les apparences d’un type qui a raté sa vie. Et pour ajouter au tableau je suis libraire. Un métier périmé ! Hors du temps. Enfin, pas tout à fait. Pas encore. Pas comme disquaire.

Les petits marquis du disque ont cherché à nous persuader que c’est le piratage, le téléchargement illégal qui a tué « l’industrie du disque ». Sornettes.

Quelques remarques liminaires : aujourd’hui il y a encore des compositeurs de musique, aujourd’hui il y a encore des mélomanes. Comme avant la crise du disque. Ce qui a changé c’est que les marchands qui organisaient la rencontre entre le compositeur et le mélomane ne sont plus les mêmes. Seconde remarque liminaire : la copie est inscrite depuis l’origine dans les gênes de l’industrie du disque. Sony éditeur de disques était aussi fabricant de cassettes vierges. Et de matériels pour les lire. La numérisation a rendu la copie plus facile.

Et maintenant comment elle est morte la poule aux œufs d’or ?

En 1968 commencent d’essaimer les hypermarchés. L’ouverture de la fnac Montparnasse en 1974 inaugure la politique d’expansion de cette enseigne de distribution vouée notamment à la vente de disques et de livres. La « grande distribution » est née, permettant la vente de masse.

Au moment où les éditeurs de livres vont faire le pari que leur métier sera mieux sauvegardé s’il s’appuie sur un réseau dense et diversifié de librairies et autres points de vente du livre, au moment donc où ils font naître la loi Lang d’une part, et où ils conçoivent, d’autre part, des conditions commerciales « au point de vente » interdisant tout avantage discriminatoire au profit de la « grande distribution » spécialisée ou non, les maisons de disque, alors les Barclay, Polygram, Emi…vont faire le pari opposé qu’en éliminant un réseau de disquaires suranné (pas plus que ne l’était le réseau le libraires) et en consentant aux hypers et à la fnac des conditions très préférentielles de vente qui leur permettaient d’éradiquer les disquaires, et donc de rationaliser la distribution du disque, leurs profits seraient maximisés.
Pari gagnant.
La distribution s’est rationalisée, les disquaires ont disparu, la logistique s’en est trouvé améliorée. Dans le même temps si le prix des livres restait sage celui des disques n’arrêtait pas de grimper. Les résultats nets des CBS, Sony, Emi, Universal…sont devenus faramineux. 25% de résultat net c’était la norme quand les disquaires crevaient.
Temps 1 : la crise du disque a démarré le jour où les maisons de disques ont décidé d’éliminer les disquaires pour ne plus vendre les disques que dans la « distribution moderne »
Temps 2 : elle s’est poursuivie avec la politique de prix erratique, aberrante, imbécile menée par les maisons de disques.Tel jour un disque valait 25 euros. Six mois après et pour une période de temps limitée le même disque était proposé par les fournisseurs à 6,99. Et au bout de quinze jours il revenait à 25. Les consommateurs ne sont pas des gogos. Ils n’aiment pas qu’on les prenne pour des cons. La défiance s’est installée, le marché a commencé à donner des signes de faiblesse.
Temps 3 : les prix imbéciles ont provoqué une vague de copie, c’est dans les gênes du disque, que la numérisation a rendu possible à grande échelle. On l’a appelée piratage. L’absence de vision de maisons de disques tout occupées à sauvegarder leurs seuls résultats nets les a conduites à n’imaginer pour seule réponse que la grotesque politique des DRM. Pas d’offre commerciale sérieuse à des prix acceptables par les amateurs de musique, pas de relais dans des magasins qui n’existaient plus puisque les disquaires étaient morts et que les rayons des hypers se réduisaient comme peu de chagrin, à mesure que la rentabilité diminuait. Pas de relais internet des magasins subsistant, à qui les fournisseurs mettaient des bâtons dans les roues, quand ils ne leur faisaient pas des procès.

Les erreurs sont toujours initiales. Le moment important c’est celui où les maisons de disques ont pris la décision de favoriser la grande distribution au détriment des disquaires. C’est avec cette décision que commence la crise du disque.

Temps 1bis ?: aujourd’hui le marché de la vente des livres sur Internet, qui se résume à de la VPC de livres-papier et à l’expédition de colis postaux paquets/ficelle ne s’élève encore qu’à 7% du marché total du livre. Mais il est détenu à plus de 80% par Amazon et fnac.com
Cette concentration des ventes entre Amazon et fnac, comme autrefois dans le disque entre hypermarchés et fnac, est dangereuse. Elle ne se serait pas opérée si les éditeurs n’avaient laissé le Cercle de la librairie garder bien cadenassé, comme Harpagon ses louis d’or dans sa cassette, ce bien précieux qu’est la base bibliographique Electre.
Les éditeurs ont interdit qu’Electre, que leur budget publicitaire finance, soit la base de référence gratuite des Français. L’une des deux principales raisons de l’absence des libraires sur l’internet réside dans cette, mauvaise, décision. La base bibliographique de référence est aujourd’hui celle d’Amazon. Et les positions d’Amazon dans les paquets/ficelle sont aussi des positions prises pour la vente de fichiers numériques. Alors, certes, la vente de fichiers numériques, pour encore, ne pèse rien. Et la ménagère de plus de 50 ans n’est pas à la veille d’abandonner le livre papier.
Mais le monde bouge vite. Il n’a fallu qu’un quart de siècle pour que l’industrie du disque s’effondre. Il serait probablement judicieux désormais pour les éditeurs d’alimenter les libraires qui souhaitent être présents sur Internet en données permettant un affichage satisfaisant de leurs livres. Il est dépassé le temps où les directions générales pouvaient considérer comme « stratégique » de conserver dans un coffre-fort la première et la quatrième de couverture des livres édités.